Allergique aux additifs dans les vins et dans l’alimentation (je ne peux pas manger un hamburger mac-do sans avoir des problèmes intestinaux), je suis fan de vins qui se goûtent en longueur appelé style spirituel (1) mais aussi pour certains vins naturels.
Sommelier depuis 1992 et habitant la Norvège depuis 2012, auteur de plusieurs livres…mon dernier pose la question suivante doit-on repenser à la dégustation..

Les deux grands styles de vins dans le monde
1.Expériences :
Prenez un exemple comparatif de deux vins. Essayer chez vous en n’oubliant pas de prendre de l’air – de barboter – pendant votre dégustation.
La même appellation, la même année, le même cépage si possible
Côtes de Provence 2014 rosé coopérative des vigneron de Correns
La couleur est rosé saumon pâle
Le nez est ouvert aromatique
Le premier nez grenade
Le second identique.
L ‘attaque est onctueuse, le milieu savoureux, le vin est sec agréable avec une rétro-olfaction très courte 20 secondes. Deux jours après l’ouverture, le vin commence a diminué en valeur. Vin bio sympathique agréable à boire. Il est vinifié en levures sélectionnées de laboratoire sans rétro-olfaction complexe.
Corail 2014 Côtes de Provence Château de roquefort (Raimond de Villeneuve)
La couleur est rosé plus intense. Le nez est complexe, difficile à déterminer les arômes le premier jour. Vous êtes obligés de le carafer. Le second jour, le vin est plus ouvert d’épices avec des notes de grenade et de minéralité. L’attaque est onctueuse, le milieu est droit,concentré et puissant. La rétro-olfaction est très longue,complexe de fruits et de minéralité. Ce vin rosé bio très complexe est issu de la fermentation spontanée. Il accompagnera très bien le repas. Le vin devient meilleur de jour en jour…
Le premier est bon mais sans rétro-olfaction et sans complexité. Le second est tout en longueur – comme le disait Hubert de Montille – avec une complexe rétro-olfaction. On peut même certainement le garder.

2Les deux grands styles en France :
Dans mondovino Hubert de Montille, célèbre vigneron bourguignon explique : « Moi j’aime les vins en longueur….on fait de plus en plus de vins en largeur. Ils nous bluffent. Ce sont les vins modernes. Vous les goutez, 3 minutes après vous dites c’est pas mal…Bon sang c’est un peu court. Moi ma dégustation, j’aime qu’elle soit en longueur. Le vin n’est pas large mais droit ». C’est l’explication buccal et spirituelle (1) que je vous ai expliqué précédemment.
Depuis plus de 15 ans, je défends l’idée que nous avons deux styles différents dans le monde du vin .
Style buccal : vin en largeur, sans différence dans le premier nez et second, sans rétro-olfaction longue. Vins issus de vinification en levures sélectionnées de laboratoire et de vignes conventionnelles.
Style spirituel : vin en longueur avec une grande différence entre le premier et le second nez, et un grand retour d’arôme après la dégustation du vin. Vous avez une sensation minérale qui peut rester 4 minutes en rétro-olfaction.

3. la triste réalité :
Selon Nicolas Joly (pape de la viticulture en biodynamie à Savennières ) « le monde du vin reste sur le premier chemin : des vins classiques vinifiés en levures sélectionnées de laboratoire. »
Les levures indigènes ne représentent que 10 % dans les vins actuels. En effet, tel un bannissement elles sont souvent boudés par les oenologues et professionnels qui ont été éduqués avec les vins vinifiés en levures sélectionnées.
4.Un grand débat : pour ou contre le levurage.
Pour le levurage :
« Le risque de défaut et d’apparition de mauvais goût (réduit, éthyl-phénols, éthanal) est supérieur avec des levures « indigènes » qu’avec des levures sélectionnées. »
Extrait du WSET niveau 3 – wine spirit education trust :
« pour un faire un bon sauvignon, il faut levurer ».
Dans le numéro de 3 étoiles n°31 (oct/nov/dec),Michel Bettane journaliste éminent du vin écrivait ceci : « le levurage : ……Faire croire qu’elles (les levures) naissent sur le terroir, qu’elles lui appartiennent et sont seules capables d’en exprimer le caractère est une vaste plaisanterie…. ….Les meilleures Bordeaux d’aujourd’hui, dont la plus grande majorité ont recours à des levures sélectionnées de Laboratoire ont une régularité inconnue du passé et il ne viendrait pas l’esprit d’aucun dégustateur sérieux de dire que château Lafite ressemble à son cousin Mouton ou que leurs vins actuels ont perdu le caractère des anciens. »
« Contrairement à ce qu’on lit et entend régulièrement, il n’y a pas de levures sur la peau des raisins. Du moins, pas de levure du type Saccaromyces Cerevisae, celles qui permettent de transformer le sucre du raisin en alcool »
« Mais, pour faire un vilain plagiat, moi qui ne suis qu’œnologue, ais bossé pendant plus de 10 ans dans la compréhension et la sélection des levures puis 3 de plus comme œnologue conseil j’ai constaté que dans un même chai entièrement levuré avec la même levure œnologique chaque cuve était différente, exprimait son terroir, son cépage et son millésime et ne dispensait en rien de se prendre le chou lors des pré assemblages et assemblages. »

Mon avis :
Je ne sais pas si elles naissent sur le terroir mais elles sont sur la pruine du raisin avant tout, et vous en trouvez aussi dans la cave. Ma première expérience avec des levures indigènes et exogènes fut au château de briacé (lycée viticole près de Nantes) où l’œnologue demanda à 14 vignerons de 14 terroirs différents de lui donner des raisins. Résultat 14 nez différents avec une rétro-olfaction plus ou moins longue, sur des sables on sentait un goût de fruits exotiques, sur des terroirs complexes on sentait du beurre. Et lorsque l’œnologue nous présentait des vins vinifiés en levures exogènes, les nez étaient plus aromatiques et les retours de bouches étaient très courts.
Ensuite pour les Bordeaux, je laisserai place à ma fainéantise et à votre bon sens et je reprendrais donc les phrases de Pierre-Marie Doutrelant (grand wine writer et trop tôt disparu) dans « les bons vins et les autres » de 1976 pages 8 et 9 aux éditions du seuil
« Le progrès a nivelé les qualités à la côte intermédiaire. Lorsque l’œnologue supplanta le maître de chai, la technicité tua le génie……Philippe de Rothschild confie souvent qu’aujourd’hui on ne peut rater une récolte à Mouton….mais celui-ci ne produira sans doute plus jamais un millésime comme 29 »
Les avis pour la levure indigène :
Henri Jayer (grand vigneron bourguignon), « dès que l’on introduit une levure étrangère au lieu, on commence à quitter le terroir ! »
Luc Charlier est vigneron et décide de levurer, mais a écrit ceci sur son blog:
« On a fait du vin, et parfois du bon vin, sans levurer pendant 8000 ans sans doute. »
Blog de Patrick Baudoin : vigneron en Anjou
« Effectivement, l’abandon d’anciens terroirs et cépages, de certains types de vins, le passage au tout chimique dans les vignes (phytos et engrais, enracinement de surface par abandon du labour… dégradation de la relation au terroir), aux clones, l’élévation très importante des rendements, etc. ; à la cave, l’utilisation de levures standards, la chaptalisation systématique, les pratiques oenologiques similaires (modifications sensibles mais semblables du jus de raisin fermenté originel) sont les « itinéraires techniques » réels qui ont « réduit l’hétérogénéité » des vins, en remplaçant les anciens « usages de production »
Dans article apparu dans les 5 du vin, le journaliste québecois Marc André Gagnon : « Le goût typique du cépage n’est-il pas dû à des modes de fabrication et à l’usage de levures typiques, de levures destinées à accentuer les arômes variétaux. Il y a de plus en plus de vignerons qui retournent aux levures indigènes, aux levures présentes dans leur environnement, n’ajoutant pas de levures exogènes achetées. On risque alors d’avoir des vins plus originaux que typiques. Et c’est tant mieux! »

Voici un autre avis sur : « La fermentation spontanée n’est bien entendu pas responsable de tous les problèmes susceptibles de se présenter, mais constitue un risque qu’il convient de bien calculer et de prendre en connaissance de cause. »

5.Le goût du terroir :
Dans le documentaire : « Vins francais la geule de bois de Donatien Lemaître », le réalisateur s’invite avec un sommelier à une dégustation de vins. Tous les vignerons ont un seul mot à la bouche terroir
Mais qu’est-ce que le terroir ou plutôt le goût du terroir dans un vin. En Bourgogne, tous les professionnels du vin vous expliquent que les parcelles sont différentes grâce à la géologie du sol.
Donc, si je comprends nous devons retrouver le goût du terroir, de la terre , du sol dans le vin…le côte pierre à fusil, minéral.

Un mot galvaudé :
David Cobbold master of wine à propos de la minéralité : « Nous sommes donc dans un monde de fantasme, certes romantique et peut-être « vendeur » (le lien avec la terre et tout cela), mais purement imaginaire. ».
’Henri Jayer « la minéralité ne se sent pas, mais elle s’apprécie gustativement, par la sensation de sapidité et de salinité que tout grand vin de terroir révèle naturellement. »
« Dans les années 1970, 1980, 1990, l’immense majorité des vins produits sur la planète ne donnaient plus ces sensations de sapidité et de minéralité chères à Henri Jayer parce qu’ils étaient issus de pratiques viticoles chimiques pourvoyeuses d’intrants qui perturbaient la minéralité naturelle des sols et de pratiques œnologiques interventionnistes, pourvoyeuses d’intrants biochimiques qui masquaient la sensation de minéralité. Heureusement pour l’industrie du vin triomphante, l’analyse sensorielle imposa le primat du nez, dans lequel s’engouffrèrent très vite critiques, sommeliers, œnologues, consommateurs »

« Le chimiste puriste peut considérer que c’est une hérésie d’attribuer l’expression minérale à des arômes. Car ceux-ci sont d’origine organique. Or la chimie organique et la chimie minérale, c’est deux disciplines différentes. Et les composés soufrés que nos experts dégustateurs expriment souvent sous le terme « expression minérale », ne sont autres que des composés organiques qui n’ont strictement rien à voir avec les minéraux. » David Lefèbre œnologue
Mon avis :
Bref, il y a souvent confusion entre le soufre et la rétro-olfaction minéral , mais aussi il n’y a aucune définition précise pour les arômes de terroir et comment on les obtient.
La « minéralité » mot qui n’existe pas (Merci à david Cobbold ), elle n’est ni présente au nez, ni dans les vins issus de levures sélectionnées de laboratoire.
Elle est présente en rétro-olfaction avec des arômes diverses souvent épices fruits pour les vins blancs, fruits réglisse pour les vins rouges. Cette rétro-olfaction peut durée pendant 5 minutes et n’est que présente dans des vins issus de vignes « bio » et vinifié en levures indigènes…

6.Conclusion :
Repenser la dégustation (définir les arômes des intrants chimiques et définir la différence entre les vins de style buccal et style spirituel) est nécessaire afin de préserver notre patrimoine : les vins en levures indigènes avec ou sans intrant. Je suppose que nous abordons un grand tournant dans notre métier. Le monde du vin est en train de muter dans le bon sens.
- A Oslo, j’ai dégusté des vins australiens ( sans soufre ajouté pour Luke Lambert de Yarra Valley et d’autres aussi), américains (Ambyth estate en californie, Johannes en orégon) issu de la bio et d’une vinification en levures indigènes . A Raw Berlin, des vins polonais, chèques, slovènes avec le même principe.
- Des sommeliers tels que Philippe Faure-Brac ou Gérard Basset (qui nous a quitté trop tôt) tous deux possédant le prestigieux titre mondial ne sont pas contre les vins naturels. Le premier a fait un accord mets et vins il y a quelques mois dans son restaurant avec Floréal Roméro vigneron sans soufre dans le Gers. Le second avait acheté tous mes livres et sur le dernier avait même écrit une préface.
- Selon le monde, de plus en plus de sommeliers passent au vin naturel. Moi, je ne trouve pas…..Peut-être pour la nouvelle génération. A ma connaissance, nous sommes 7 : Mickael Groud et Guillaume duprès à Paris, Pascaline Lepeltier de New york (meilleur sommelier de France 2018, et meilleur ouvrier de france) , Laura Vidal (La Mercerie à Marseille) et Vanessa Massé à Nice, enfin mon humble personne à Oslo. Sur 70 références, 95 % en bio de ma carte est en bio et en levures indigènes. J’ai en ce moment 10 vins naturels sans ajout de soufre. Cela se passe très bien avec les clients…..
- La seconde professeur , Fanny Darrieussecq, lors de mon WSET était vraiment parfaite . Elle savait reconnaître l’acidification, le levurage et les arômes de soufre. Donc, c’est tout simplement une affaire d’éducation.
- Isabelle Legereron est la dernière Master of Wine française. Elle est pro vin naturel.
- Vous avez actuellement des œnologues comprenant l’importance de l’agriculture et du vinification sans intrant tels Stéphane Lucas du domaine des champs d’Orphée, Julien Guillot du domaine des vignes du Mayne et le Duo œnologie en Alsace.

C’est vrai, je ne suis pas œnologue. Mais, je suis dégustateur professionnel depuis 25 ans, avec un gros défaut : je suis allergique aux additifs dans les boissons. Ma sensibilité est très développée grâce à mon hygiène de vie : je ne fume pas, je ne bois pas de coca et ni de lait.
Je ne dis pas que le vin naturel ou bio vinifié en levures indigènes est le meilleur vin. Non, je dis simplement qu’ils sont notre patrimoine. Nous devons absolument crée une école de vinification naturelle avec des vignerons tels que Jacques Caroget ou Philippe Gourdon . Le dernier a crée une machine à soufre volcanique (4) afin de réduire les doses. L’ère de la vinification conventionnelle est derrière nous, avec les soucis d’empoissonnement des enfants (2) et des salariés, la porte au monde l’agriculture biologique et d’une vinification plus saine s’ouvre.. Les consciences seront-elles plus forts que les lobbyngs et l’avidité de certains qui corrompent Bruxelles et les politiques comme explique Philippe De Villiers (3) dans son livre et une vidéo sur youtube.
Par contre si les professionnels pro vin naturel donnent l’éducation sur la reconnaissance des arômes chimiques, ce serait un bon début. Je comprends que beaucoup de professionnels ne sont pas éduqués pour reconnaître les arômes chimiques. L’oenologie additive représente des milliards d’euros de budget. mais de plus en plus de consommateurs ont des réactions par rapports au mal de tête. La première réflexion vis à vis au vin naturel est : « jamais de mal de tête le lendemain ». Bref depuis quelques temps les industriels tels que Gérard Bertrand ou François Lurton proposent des vins plus digestes même si ils ne sont pas mon style. C’est le renouveau des industriels….Cela ne me dérange pas au contraire, je les encourage. Mais, il serait intelligent de mettre les techniques et les composants sur le vin comme le veut une association
Enfin, si nous voulons que le monde du vin évolue, comme obtenir la reconnaissance de l’appellation vin naturel et la reconnaissance des deux grands styles de vins dans le monde par les grandes instances viticoles. Ce ne sera pas en France mais bien en Angleterre au siège de WSET qu’il faudra frapper. Ils ne sont pas fermés selon mes sources. Dans le livre de WSET nous pouvons lire ceci « il n’y a pas de différence de millésime en Australie » or pour Mark Davidson de Wine Australia, qui m’a fait goûter le vin sans soufre de Luke Lambert, m’a confirmé « mais il y a des différences de millésimes en Australie ». Et son idée, serait interpeller WSET sur ses différences de millésimes. Alors pourquoi de ne pas le faire aussi sur les différences de styles de vins dans le monde et sur la reconnaissance des arômes chimiques.
Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec moi. Mais actuellement les rouages de l’apprentissages de dégustation doivent être amélioré sur la recherche de la pureté du vin et de sa complexité…Pourquoi ne pas essayer au moins de faire l’expérience avec les deux vins En tout cas, je crois au changement total…..Qui vivra…. verra …….
1 : extrait du film Mondovino : Jonathan Nossiter 2006.
2 http://www.sudouest.fr/2014/05/14/malaise-a-l-ecole-1553833-2780.php
3 : l’auteur se défend d’avoir une opinion politique ou religieuse. Mais, il a été subjugué par la vidéo de Monsieur de Villiers qui n’apprécie guère par ailleurs. https://www.youtube.com/watch?v=Ppiqbjix7JA
4 : https://www.youtube.com/watch?v=7zqyJ-F5BBU
Une réflexion sur « Les deux grands styles de vins dans le monde »